Rencontre avec un entrepreneur et cinéaste passionné qui bouscule son industrie avec l’IA
François Grandjacques est le fondateur et directeur de l’agence de production audiovisuelle « TaisToiDonc », spécialisée dans les films d’entreprise.Ce dirigeant passionné bouscule les codes de l’industrie de l’audiovisuel, en intégrant l’intelligence artificielle dans ses processus de production, ses réalisations et dans le fonctionnement interne de son entreprise.Rencontre avec ce précurseur – et lecteur de la newsletter IA Mania – qui, nous en sommes certains, saura faire fourmiller vos idées
IA Mania : Bonjour François. Raconte-nous ton histoire, ton parcours et comment tu en es arrivé à travailler dans l’industrie du film d’entreprise.
Hello IA Mania ! Le cinéma, c’est une passion de jeunesse. À 13 ans j’ai décidé que je ferai des films et que je voyagerai. Me voici, à mon âge, à faire des films et à voyager. Mais ça s’est fait dans des révolutions : quand j’ai fait mon école de cinéma, c’était du montage sur tables où il fallait coller les pellicules ensemble. Et quand je suis sorti de l’école, le montage numérique est arrivé. Tout ce que j’avais appris, c’était pour rien… Final Cut, Premiere, Avid, sont arrivés. Et puis, il y a eu la révolution de la vidéo sur Internet. Alors j’ai décidé de mettre ma première vidéo en ligne, en 1999. En 2000, j’ai fait une série de 79 films liés à Internet, des vidéos pour Internet. Il y avait ce besoin d’expérimentation.
Ce n’est pas un hasard si je me retrouve à utiliser l’IA et à l’expérimenter à fond : pour moi, c’est un terrain de plaisir. C’est incroyable, tout est à explorer.
Parle-nous de ton approche métier et de ton entreprise.
En 6 ans j’ai eu exactement deux retours négatifs sur ce nom. Les gens perçoivent immédiatement l’humour derrière. Il y a eu cette affirmation dès le départ, dès la formation de l’entreprise, de dire : ras le bol des identités d’entreprises gentilles, hypocrites, pseudo-bienveillantes. On va essayer de créer une entreprise drôle, humaine, qui s’adresse à l’intelligence de tous. On propose quelque chose d’original. On n’hésite pas à provoquer
Notre entreprise produit du court-métrage, du long-métrage et du documentaire. J’ai fait du reportage pour Arte et des films diffusés sur Public Sénat. Notre base financière c’est le film d’entreprise, j’en fais depuis une vingtaine d’années, ça m’a permis de rencontrer des types de gens différents. J’;ai filmé des usines, des ouvriers, des prix Nobel. Je suis fan de cet aspect de mon métier. En parallèle, on produit des films de court-métrage ou autre fiction documentaire.
Tu parlais de sélection de clients, peux-tu nous parler du profil de ta cible ? En refuses-tu certains ?
Oui. Cette sélection se fait seule. Dans les années 2000, j’ai eu une petite boîte. J’avais 20 ans et j’étais souvent utilisé car mes clients se disaient « il est jeune, on peut lui faire ce qu’on veut ». Maintenant que je suis plus âgé, ça entraîne le respect. Avec l’expérience aussi, je sens avec qui ça ne va pas correspondre. Par exemple, les clients qui veulent des pousse-boutons, c’est-à-dire qu’ils ne veulent pas faire appel à quelqu’un qui va les aider, qui va partager des connaissances, mais ils veulent un gars qui met des plans dans un logiciel de montage. Ça ne nous intéresse pas vraiment. On a une expertise dans l’audiovisuel, dans la mise en ligne sur YouTube et sur les réseaux, et dans le référencement Google. C’est ce qu’on amène. Faire appel à une entreprise, c’est chercher une connaissance sur quelque chose que l’on ne maîtrise pas, et donc être à l’écoute. Cela va dans les deux sens : notre processus est aussi d’écouter le client dès le début… D’où le nom ! (rires)
Cette originalité, cette approche de réalisateur et cette expertise me conduisent à parler concurrence : que fais-tu de mieux ? Pourquoi ton entreprise plutôt qu’une autre ? Que manque-t-il dans les autres offres de films corporate ?
Qu’est-ce qu’on a de mieux ? L’envie et la créativité. J’ai connu le film d’entreprise où les prix étaient très élevés, où les équipes avaient des dépenses folles. C’était ahurissant. Contrairement à la plupart de l’industrie en termes de prix, j’ai pour habitude de demander le budget du client. Car pour le même scénario, je peux tourner avec mon téléphone sur un week-end ou faire appel à Spielberg avec un hélicoptère.
Ce sont deux films très différents mais qui pourtant peuvent remplir le cahier des charges parfaitement. Il n’y a pas de prix fixes en vidéo ! La vidéo étant subjective, elle a une volatilité et complexité pour les prix. On essaie de coller à des vrais prix, c’est donc moins de marge. Internet étant basé sur la répétition, il faut publier régulièrement sur YouTube, LinkedIn, TikTok, etc. si on veut que ça marche. Donc on propose un abonnement avec une adaptation des prix. Ce qu’on a de mieux, c’est la recherche créative permanente, l’écoute, et l’expérience qui nous fait trouver plus vite des solutions. “On recherche de nouveaux moyens d’exprimer les idées des entreprises avec qui l’on travaille : la preuve avec l’IA.”
La vidéo d’entreprise a changé : on n’est plus dans la grosse vidéo qui fait plaisir au patron, pour passer à un événement, qui a coûté un million d’euros et qui sera vue une seule fois. Avec les vues sur les réseaux et la possibilité de mettre des liens dans les descriptions, la vidéo et son efficacité sont quantifiables, reconnaissables et calculables, même si les vues ne sont pas le nombre de clients. On se place par rapport à ça : faire des vidéos efficaces qui ne sont pas là juste pour briller. Pour autant on vient de la fiction, avec l’art de la mise en scène, du scénario, de la bonne lumière, des chefs-pop et ingé-sons, etc. C’est du vrai travail de qualité, adapté au monde actuel. Surtout, on recherche en permanence de nouveaux moyens de s’exprimer et d’exprimer les idées des entreprises avec qui l’on travaille : la preuve avec l’IA.
Tu parles d’intelligence artificielle : ça me conduit à te demander avec quels outils est-ce que tu travailles ? Comment est-ce que tu abordes la partie de recherche et développement technique, et qu’est-ce qui te pousse à creuser ?
De manière générale dans ma boîte, on a cette idée d’avoir du temps de recherche pour nous-mêmes entre les projets. Honnêtement, pas sûr d’avoir encore compris à quoi servent certaines IA. Mais on teste.
Sur l’IA justement, on a fait une réunion où on a chacun cherché de notre côté, puis on a mis en commun ce qu’on avait découvert sur l’IA. Par exemple, on a utilisé HeyGen, on s’est filmés avec une belle lumière, très proprement pour avoir chacun nos avatars. Honnêtement, pas sûr d’avoir encore compris à quoi ça pouvait servir, mais on l’a fait pour tester et pour voir… On peut en faire des blagues, mais professionnellement ce n’est pas évident, à moins d’en faire de l’humour. Ça robotise, c’est impressionnant, c’est magnifique, mais au fond, ça ne marche pas pour l’instant. Le logiciel ne se rend pas compte des intentions du texte.
Ces tests sont des échanges. Quand on réfléchit sur un projet, les idées partent volontairement dans tous les sens et ça fonctionne bien.
Notre force c’est que nous sommes tous les quatre, Clément Aubié, Axel Brault, Marcelo Fricou et moi-même, très attirés par les nouvelles technologies, et en même temps nous avons le désir d’avoir une réflexion autour. C’est pas mal de débats philosophiques, éthiques. On essaye de comprendre ce qu’on fait.
Et pourquoi t’être intéressé spécifiquement à l’intelligence artificielle ?
Comme tout le monde c’est venu par l’image, par des tests sur Midjourney. Un truc bluffant. Avant ça, il y a eu ChatGPT dont j’avais entendu parler. Comme tout le monde, on ne savait pas faire des prompts, on ne savait pas poser les questions, les résultats n’étaient pas extraordinaires.
“Les gens ne savent pas utiliser ChatGPT et ne se rendent pas compte des possibilités”
C’est souvent le problème au début : on ne sait pas utiliser ChatGPT, donc on ne se rend pas compte des possibilités. C’est comme avoir un marteau et ne pas savoir que ça sert à planter un clou.
Je trouve qu’il y a de l’humour par l’absurde dans l’IA, les hallucinations sont extraordinaires, c’est une piste intéressante qui devrait être utilisée. Runway c’est fantastique, c’est du Dali ! Je lui ai demandé de me créer des images avec “TaisToiDonc” écrit dans la jungle en néon… il n’a jamais réussi à écrire le nom correctement. Je l’ai gardé et ça passe en boucle sur un écran géant dans le bureau, ça fait rire les clients.
Comment es-tu passé de l’itération personnelle à l’intégration concrète dans ton entreprise ? Qu’est-ce qui a provoqué le déclic et permis d’opérer la bascule ?
Avec la découverte de Kaiber et de Runway. Mais tout s’est débloqué avec le projet de l’Aquarium de Biarritz qui a fêté ses 90 ans en décembre 2023. Runway et le projet de l’aquarium sont arrivés en même temps, il y a une concordance, un hasard. Il fallait produire un film en un mois et demi pour l’inauguration le 21 décembre, en partant de presque zéro. Il y avait déjà un film qui ne leur plaisait pas, fait de successions de photos et de textes. Si on voulait amener de l’originalité, quelque chose de différent, il fallait une partie d’animation. Donc on a fait des tests sur IA. L’idée étant de prendre des photos d’époque et de les animer, de 1933 et même avant, 1890.
On a fait des tests sur Runway et ça rendait bien, même si on n’a utilisé que 5 à 10 % de ce qu’on a produit. Il y a tellement d’hallucinations… ça pourrait faire un film en soi, un bêtisier de l’IA. Il est fort sur les paysages, les vagues, les mouvements d’axe… C’est incroyable. On s’en est servi pour ce film d’entreprise, en se lançant un peu dans le vide quand même, parce qu’il n’y avait pas de référence, personne n’avait fait ça avant nous.
Tu parlais d’une culture d’entreprise interne, propice à découvrir des nouveaux outils. Comment ont réagi tes collaborateurs sur ton envie d’intégrer l’IA ? Tu as dû bosser sur une conduite du changement, ou tu n’as eu aucune résistance ?
C’était facile de parler d’intelligence artificielle à mes collaborateurs, ils étaient déjà complètement pour. Dans la boîte, c’était de l’enthousiasme et on a fait des tests. Mais ce n’est pas partout pareil ! J’ai vu un réalisateur récemment qui m’a dit “en fait, t’es complètement fou. Ce n’est pas fini, c’est une science non terminée.” Il hallucinait.
Justement, est-ce que ton entourage professionnel réagit plutôt négativement à cette intégration de l’intelligence artificielle à ton métier ?
Oui et de manière hyper critique ! Par exemple, on me dit que pour le spectateur lambda ça ne se voit même pas. Ce n’est pas complètement faux, l’IA est un accélérateur mais il n’y a rien d’extraordinaire. Les animations de l’aquarium auraient pu être faites par un animateur.
“Avec un animateur, ça aurait pris un mois (…). Là, ça prend une demi-journée”
L’IA ne fait pas un truc jamais vu. C’est juste une photo qui est animée et qui aurait pu l’être par un humain. Mais ça lui aurait pris un mois : là, ça m’a pris une demi-journée. Il y a une part de hasard, de créativité qui est assez intéressante et maîtrisable. L’animateur me l’aurait fait, mais si ça n’allait pas il aurait fallu corriger et ça aurait demandé encore une semaine. Là en cinq minutes j’ai une nouvelle proposition.
Voilà. Ils m’ont dit que n’est pas impressionnant, que j’ai fait ça trop tôt, que j’ai pris trop de risques… La critique plus profonde, c’est que l’IA pique le métier des autres, un animateur aurait pu travailler. C’est un sujet dont on peut parler.
Je reviens sur le gain créatif et le gain de temps, versus le fait de faire appel à un animateur. Il y a d’autres gains que tu dénotes après utilisation de l’IA ?
J’ai l’impression que c’est le début. On parle de créativité, mais c’est autre chose. Prenons l’exemple du cocher et sa carriole versus la voiture : on ne peut pas dire que c’est le remplacement de l’un par l’autre. Ce sont les distances qui ont changé. C’est le parcours de mon travail dans l’entreprise qui va changer. Il y a ma créativité face à celle de l’IA. Ce n’est pas ma créativité seule qui est améliorée : c’est plus fin. Le fait que l’IA collecte des données renouvelle mes idées et me pousse vers des projets. Il est possible que je fasse un film d’animation, maintenant que j’y pense, ce que je n’aurais jamais fait il y a un an et que je peux proposer au client. C’est une force de proposition en elle-même. Des gains en créativité, rapidité, mais aussi une offre qui s’agrandit.
Un côté stimulation et un champ des possibles qui s’ouvre. Plus concrètement, comment est-ce que tu utilises l’IA chez TaisToiDonc en ce moment ?
On utilise pas mal ChatGPT pour du concret, pour créer la matrice de texte, des questions, des scénarios, du storyboard… J’ai aussi créé des icônes avec Dall-E, pour un film. Notre commercial dit que c’est la meilleure arme contre la peur de la page blanche. Si je veux écrire un scénario, je lui demande de balancer un truc.
« Contrairement à ce que les gens pensent, il n’y a pas que des textes ChatGPT sur Internet. Tu dois toujours réécrire. »
Ce que ChatGPT propose est peut-être nul mais ça y est, la plongée est faite, comme un briseur de glace qui repousse la procrastination. Et avec plaisir ! Parce qu’en général il y aura quand même 2-3 idées intéressantes, on balance le reste et on réécrit. Contrairement à ce que disent ou pensent les gens, il n’y a pas que des textes ChatGPT sur Internet : tu es obligé de les réécrire, ça ne correspond jamais à ce qu’on veut vraiment. Mais la base, l’énergie même que ça donne, c’est génial, c’est fantastique.
Pour le reste des IA : on fait des tests et de la recherche, pour savoir ce que l’on pourrait en faire. On fait ça sur Runway ou Suno pour les chansons. Mais il reste le souci des hallucinations, ces IA ne comprennent pas les intentions, l’humour… le second degré, n’en parlons même pas.
Lors de nos échanges, tu nous disais que TaisToiDonc avait créé son propre GPT ?
C’est vrai, il a une cinquantaine de vues, ce qui est plutôt pas mal pour quelque chose d’aussi confidentiel pour l’instant.
« On l’améliore tous les jours (…) avec des idées et des concepts qui nous correspondent. »
Surtout, on l’améliore tous les jours une petite demi-heure. On réfléchit à ce qu’on pourrait lui donner, à ce qui est important pour nous ou pour nos clients avec qui on travaille, avec des idées ou des concepts qui nous correspondent. Il n’y a pas longtemps, on lui a inséré la forme de scénario qui correspond le mieux aux films qu’on fait.
Quand les gens disent “aide-moi à écrire un scénario pour mon entreprise”, ils obtiennent une forme de scénario. Mais le plus important, c’est qu’on l’a formé à d’abord toujours poser des questions, à ne pas donner des définitions. Quand on arrive sur ce GPT, il essaie de nous comprendre avant de donner ses solutions.
À nos prospects, à celui qui veut communiquer avec de la vidéo mais ne sait pas par où commencer. Ce sont des gens qu’on rencontre souvent comme des clients potentiels. Des profils qui ont un problème et se demandent comment la vidéo pourrait être une solution. Ils vont sur internet et qu’est-ce qu’ils tapent.. ? C’est l’idée de notre GPT : si vous êtes dans cette situation, allez dessus et il va vous guider. Il cherche d’abord à comprendre votre problème, puis propose des solutions. Par contre, on n’a pas mis “appelez TaisToiDonc” quel que soit le problème. Ce n’est pas du tout ce qu’on a fait ! On a même mis les bases de données des producteurs français, pour offrir un truc sérieux et éventuellement que ça revienne à nous, parce qu’on l’a créé, et qu’on est forcément spécialistes du sujet. Mais le GPT ne force pas la mise en relation.
Cela me conduit à parler du rapport de tes clients au fait que tu utilises l’intelligence artificielle. C’est quelque chose que tu leur dis ? C’est un argument commercial… est-ce qu’eux-mêmes te demandent de l’utiliser ?
(NB : Chez IA Mania, on entend souvent des entrepreneurs dont les clients sollicitent le recours à l’IA dans leur appel d’offre)
C’est une très bonne question. En ce moment on a ce problème car on prospecte auprès d’artisans. Et le sujet de l’IA, c’est chaud chez eux. Mais on a décidé d’en parler, on l’assume.
“Autour de moi, ça fait débat. Mais je suis sûr de moi.”
Des amis et confrères sont pour, sont contre. Autour de moi, ça fait débat dans le feu et le sang. Mais je suis sûr de moi. L’IA est un outil, qui va tout changer. Les avantages seront plus forts que les inconvénients, comme entre les cochers et les voitures. Les cochers ont dû dire “tu as le choix entre ta calèche et ta voiture à moteur”. La réalité, ce n’est pas ça. Le commun des mortels ne peut pas avoir une écurie, un cheval, une calèche et une voiture à moteur en même temps. La voiture a pris le pas sur le cheval. Si tu considères l’IA comme un outil, tu ne crains plus le robot IA qui va te tuer. Dans mon industrie, ça ne peut qu’améliorer les films et les offres que je propose, y compris pour les artisans. Donc, j’assume.
Un outil d’accord, mais pas encore un argument commercial recherché par tes clients ?
Pas encore, mais ça ne m’étonnerait pas que ça arrive assez vite. Je crois que ce n’est pas encore compris comme un outil possible pour la vidéo, chez les non spécialistes de l’audiovisuel. Peut-être qu’ils ne savent pas que des logiciels existent pour ça. Les liens entre ChatGPT et l’audiovisuel, c’est complètement abstrait pour la plupart des gens.
Un outil encore incompris, dans le corps de métier plus que seulement côté clients ? Cette compréhension-là et cette possibilité de l’intégrer, ce n’est pas encore quelque chose de répandu, ça bloque ? Un manque de connaissances peut-être ?
Mon ressenti c’est que ça bloque autour de moi. L’audiovisuel est tellement subjectif, que ce que tu peux faire avec IA tu peux le faire sans. Ceux qui n’ont pas envie de s’y mettre ou ne sont pas curieux ne vont jamais y aller. C’est aussi générationnel : les jeunes utilisent plus l’IA que les gens de 50-60 ans. Mais pour répondre à ta question, il me semble que ce n’est pas en train de prendre comme une fourmilière qui se remplirait. Pas encore.
Il y a aussi l’aspect du monde artistique, qui est réfractaire à l’intelligence artificielle ?
Oui, je suis dans un métier dit artistique, donc subjectif et pas objectif. Beaucoup d’artistes ont l’impression que ça va prendre leur travail. Donc c’est là que l’on est les derniers à s’adapter, bizarrement.
Tu dis que ton industrie réagit de la sorte à cause de sa subjectivité. Si on prend du recul et qu’on se positionne du point de vue entrepreneur, que conseillerais-tu à un entrepreneur d’une autre industrie qui se questionne sur le fait d’intégrer l’IA ? À qui on dit que ce n’est pas encore prêt, que ce n’est pas nécessaire, pas utile ?
Plus vite il ira, plus de temps il gagnera. Il faut y aller, c’est juste une position réactionnaire de dire non maintenant. De toute façon, il devra y aller à marche forcée dans cinq ans.
“Tout est là, pourquoi ne pas utiliser cet assistant ? Il est gratuit !”
De mon expérience, qui comme tout le monde, a un an à peine, je conseille de se servir de ChatGPT comme d’un assistant complet pour simplifier le travail quotidien et combattre le syndrome de la page blanche. C’est un sauveur avec de très bons arguments, sûrs à 80%, quelle que soit la question que tu poses. Il ne faut pas hésiter à chercher à comprendre les problèmes dans son entreprise, peu importe le sujet : social, RH, clientèle, etc… et lui poser la question, bêtement. De questions en questions, on arrive à quelque chose de sur-mesure qui a un intérêt pour son entreprise. C’est comme avoir pour soi la bibliothèque nationale avec l’esprit de synthèse que n’a pas Google. Tout est là : synthétisé, rapide, clair, précis. Pourquoi ne pas utiliser cet assistant ? Il ne coûte rien, c’est même mieux en payant un petit peu.
Tu utilises l’IA pour des aspects RH, entrepreneuriaux, produits, offres… Si c’était à refaire, est-ce qu’il y a quelque chose que tu modifierais dans ton approche ?
Sur l’intégration de l’IA ? Franchement non, car j’ai l’impression d’être au début, mais peut-être que dans 10 ans oui ! En revanche, je suis à 300% certain que c’est une très bonne chose d’intégrer l’intelligence artificielle à mon métier et à mon business. Mais je peux continuer avec d’autres arguments si tu veux.
Tout est très clair ! Tu avais déjà un petit peu parlé au début de l’interview du fait que tu trouvais qu’il y avait de l’humour dans les biais, dans les hallucinations et que c’est comme ça que tu les exploites. Tu veux développer un peu sur ce sujet ?
J’en ai déjà parlé mais là, il me semble que pour l’aquarium, il est possible de faire un bêtisier extraordinaire, sur le processus de création via Runway. C’est intéressant d’utiliser un outil et de le dévoyer, c’est très humain : mais l’outil est là, pourquoi ne pas en faire ce qu’on veut ? Le détourner, c’est le révéler tel qu’il est. Ne pas essayer d’appliquer ce qu’on avait pré-programmé, mais de s’adapter à l’outil lui-même.
Disons que ces hallucinations sont utilisables, y compris de manière sérieuse dans le film. C’est juste qu’on ne savait pas jusqu’où ça pouvait aller, mais on va approfondir. On est au début, on va continuer. Runway et ChatGPT sont les plus intéressants dans mon industrie. J’ai envie d’explorer comment ils hallucinent, mais aussi leur part de hasard : pour la même phrase, les mêmes réglages, ils sortent toujours quelque chose de nouveau. Pourquoi pas faire des films autour de l’IA ? Et puis il y a plein de choses possibles pour maîtriser et utiliser ces hallucinations, même si je pense qu’elles vont malheureusement disparaître, car ces outils vont se perfectionner, mais ce sera moins intéressant. De nouveaux outils naîtront, ce n’est pas grave. Mais là, c’est un âge de gloire et c’est fantastique ce qu’on peut faire. Il faut juste avoir un tout petit peu d’imagination.
Ton enthousiasme est super, surtout pour une personne du monde artistique. Justement, pour nos lecteurs qui filment, est-ce que tu peux nous donner plus de détails sur ce projet de Biarritz ? Tu nous as dit, par exemple, qu’ils t’ont donné une deadline assez serrée, qu’il y avait un film existant qu’il fallait reprendre…
Le projet vient de Marion Etcheverry, la directrice de Biarritz Océans. Elle dirige deux lieux, l’Aquarium de Biarritz et la Cité de l’océan. Pour les 90 ans de l’Aquarium, elle avait fait un film destiné à une pièce carrée où le film passerait tout du long. Elle l’a fait rapidement avec quelqu’un dont ce n’était pas le métier : comme on s’est rencontrés en novembre, elle m’a proposé de reprendre le projet. Le film devait être prêt un mois après, il fallait aller très vite. On a repris le scénario du film qui existait avant, mais l’idée était d’enlever un peu de partie texte pour raconter l’Histoire, faire de l’audiovisuel, avec de l’image et du son plutôt que du texte.
“Runway permet de rendre vivante une partie historique (…). Pour le coup, c’est TaisToiDonc qui apporte une vraie valeur”.
Dans cette idée, la difficulté qu’on a rencontrée est que le lieu a 90 ans, et il n’est pas très documenté dans ses années les plus anciennes. Très peu de vidéos, peu de photos, alors que ça devrait représenter la moitié du film… Je ne voulais pas partir dans un diaporama que tout le monde peut faire et où on n’amène rien. D’où l’idée de l’IA qui est venue très vite. Elle est tombée pile poil avec Runway car à six mois près, ce n’était pas possible. On a sauté dessus, on a fait des tests sur les photos d’époque, de l’inauguration, du Biarritz des années 30… Ça nous a permis d’amener une patte et de rendre vivante cette partie historique. Et pour le coup, c’est vraiment TaisToiDonc qui apporte une valeur. L’autre possibilité aurait été de faire une fiction, mais ça aurait coûté beaucoup plus cher. Avec l’IA tout à coup, on pouvait se permettre de mettre des images mouvantes de la vidéo, du film, sans entraîner des coûts incroyables. Un film qui fait date pour TaisToiDonc, le premier d’une longue série, je pense.
Tu nous disais qu’une partie de ta production créée à l’occasion n’était pas exploitable, c’est un gros chiffre. Qu’en penses-tu ?
Oui… Justement, je me souviens d’un après-midi devant Runway, à tout tester. Je donne une photo d’un soigneur avec son phoque… Le soigneur est debout, le phoque est en bas. Je n’ai jamais réussi à lui faire bouger ça de manière logique.
Les gens se trompent sur ce que c’est, l’IA.
Ce qui est intéressant, c’est ma propre posture : c’était un acte créatif. Je n’étais pas en train de peindre, je n’étais pas en train de filmer, ça se jouait à un déplacement de mots près… comme le pinceau qu’on met plus à gauche ou plus à droite. Je me sens bien quand je crée et là, c’était le cas, il y avait une sensation de peinture et une sensation de création. Ça m’a étonné, car si on le regarde de l’extérieur, on se dit que c’est un gars devant son ordinateur, il n’y a pas de créativité manuelle. Or, il y avait quelque chose de l’ordre du cisèlement, de la sculpture. On est au début de l’IA mais les gens se trompent sur ce que c’est. C’est vraiment une source de plaisir, l’IA.
Dernière question sur l’histoire que je t’ai partagée et que j’ai découverte en lisant mes newsletters. Amina Folly, créatrice de 22 ans, a réalisé un trailer 100% IA. Petit film de 1 minute 20 néanmoins important car il a été sélectionné pour apparaître dans des festivals Sony Pictures et l’a placée sur les radars. Cette artiste complète a vu le reste des œuvres non produites par IA apparaître dans des galeries aux côtés de Banksy et d’Andy Warhol. J’y trouvais beaucoup de parallèles avec toi. Quels sont tes ressentis ?
(NB : Cela recoupe notre message de vous dire que c’est le moment de se positionner comme une personne avant-gardiste, qui utilise l’IA. Et que ce n’est pas aussi sale que ce qu’on pense et qu’en plus, ça apporte de réelles externalités positives)
Quand j’ai lu ça, ça m’a fait réfléchir à autre chose. Le sujet des avocats, est intéressant pour comprendre et penser l’IA. Les avocats sont entre l’écrit et la présence physique. Pour chacune de leurs affaires, ils doivent créer des dossiers énormes, des milliers de pages, donc beaucoup d’écriture, c’est-à-dire le domaine prépondérant de l’IA actuellement. En même temps, ils doivent plaider, assurant une présence physique à la cour où l’IA n’a pas accès.
On voit combien l’IA est un outil, pas une menace remplaçante. Les avocats peuvent s’aider de ChatGPT pour simplifier, accélérer leur travail, mais en aucun cas, ChatGPT ne peut les remplacer. Une amie avocate m’a raconté qu’elle trouvait l’IA intéressante, mais qu’elle préférait créer ses dossiers de A à Z, parce que la matrice de ChatGPT lui fait perdre sa concentration et sa perspicacité. Une partie est faite par un autre, elle n’a pas la vision d’ensemble. On pourrait rapprocher ça de la cuisine. S’il existait une IA créatrice de plats, je lui demanderais un plat style Bocuse ou Trois Gros. Ce sera merveilleux, mais le plaisir de la cuisine, en tout cas pour moi, réside dans le fait de cuisiner. L’effort demandé et le moment passé changent le goût du plat et donnent une histoire, un passé. Mais ces deux exemples ne sont pas un argument contre l’IA.
Si on considère l’IA comme un outil, la peur disparaît. Un outil, on s’en sert ou on ne s’en sert pas. Si je décide de l’utiliser ou non, c’est mon choix. Demain, je ferai autrement. C’est la vie. L’IA va prendre la place. Mais comme le cinéma n’a pas tué le théâtre et la télé n’a pas tué le cinéma, il y a des chances que l’IA change les habitudes, sans les faire disparaître pour autant.
“L’IA, ce n’est pas Terminator.”
Tu le disais, l’IA va rentrer dans nos vies. Que ça fasse émerger une star au niveau Banksy, une boîte de prod comme TaisToiDonc, ou un avocat qui fait ses affaires beaucoup plus rapidement… Le monde va changer. Mais l’ancien ne va pas disparaître. Il y a une adaptation qui va de toute façon se faire. C’est juste un outil, les gars. Calmez-vous. Qui va changer nos vies, certes, mais n’est pas Terminator.
Toute l’équipe d’IA Mania remercie chaleureusement François pour la qualité de cet échange.
Pssst : on ne saurait que trop vous recommander de discuter avec lui de vos projets de valorisation de votre discours corporate.
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